UNE GOUVERNANCE POUR LA CIRCULATION DES DONNEES PERSONNELLES

02/11/2020

Jean-Marie Cavada, président de l'Institut des Droits Fondamentaux Numériques
Jean-Marie Cavada, président de l’Institut des Droits Fondamentaux Numériques

[OPINION] L’article 20 du Règlement général sur la protection des données, qui consacre un droit à la portabilité des données, constitue une des clés pour mettre sur pied une architecture des données plus vertueuse que celle qu’ont mise en place les Big Tech. L’analyse de Jean-Marie Cavada, Président de l’Institut pour les Droits Fondamentaux Numériques, après la publication de la note Partage des données personnelles : changer la donne par la gouvernance par la Fondation Digital New Deal.

 

Les menaces que fait peser l’hégémonie des Big Tech sur la concurrence, l’innovation et la souveraineté européenne doivent être prises en compte. Alors que l’Europe tente d’agir avec le Digital Services Act, force est de constater que les velléités régulatoires européennes trouvent un écho outre-Atlantique – enfin ! La Chambre des représentants américaine a en effet récemment rendu un rapport sur les pratiques anticoncurrentielles des Big Tech.

Pourquoi les Big Tech dominent-elles ?

Les grandes plateformes numériques ont parfaitement su exploiter la puissance exponentielle des effets de réseau. Les modèles « winner takes all » propres aux marchés technologiques confèrent aux Big Tech, dès lors, une influence indéniable sur des pans entiers de l’économie internationale. A cela s’ajoute une taille de marché presque sans limite puisque l’expansion de ces géants technologiques n’est pas freinée par des coûts marginaux élevés contrairement à des industries plus traditionnelles et des problématiques de transport par exemple. L’addition de ces deux facteurs – effets de réseau et taille potentielle de marché – a permis aux Big Tech de conquérir, petit à petit, la frange BtoC de l’économie européenne.

Au-delà des caractéristiques particulières de l’économie numérique sur lesquelles les Big Tech ont su s’appuyer, c’est également l’utilisation d’un modèle économique spécifique qui leur a permis d’asseoir leur domination. Elles ont concentré leurs efforts sur des marchés dits bifaces, où le service gratuit offert au plus grand nombre permet de fermer la porte aux nouveaux entrants, tandis que le modèle publicitaire permet
d’atteindre une rentabilité maximale.

Si l’intelligence artificielle et la science des données constituent autant d’outils utiles pour répondre aux défis de notre monde, force est néanmoins de constater que les meilleurs cerveaux de la planète sont recrutés pour parfaire un modèle publicitaire déjà effectif ! Le pouvoir accumulé par ces entreprises, de surcroît, aboutit aujourd’hui à un impact systémique sur l’ensemble de la société, et notamment sur le fonctionnement même de nos démocraties. Il s’agit désormais de redonner toute sa place au bien commun et à l’intérêt collectif.

Si les Big Tech ne considèrent les individus que comme des consommateurs, les porteurs du projet aNewGovernance souhaitent inverser ce paradigme.

Encourager un nouveau modèle pour la donnée

L’uniformisation des règles du jeu concernant le traitement et l’utilisation des données constitue un objectif primordial. Il semble ici nécessaire, comme le démontre le think tank Digital New Deal dans le rapport de Matthias de Bièvre et Olivier Dion Partage de données personnelles : changer la donne par la gouvernance, de repenser l’architecture de circulation des données pour que tous les acteurs, publics comme privés, associatifs
comme académiques, puissent en retirer les bénéfices.

L’article 20 du Règlement général sur la protection des données, qui consacre un droit à la portabilité des données, constitue une des clés pour mettre sur pied une architecture des données plus vertueuse que celle qu’ont mise en place les Big Tech. Là où le bât blesse, c’est que ce nouveau droit n’est pas incarné dans des procédures et des règles simples d’accès et d’utilisation par tous. A ce titre, des outils doivent être mis à disposition des individus pour maîtriser leurs données, tout en s’assurant qu’ils soient indépendants des plateformes, par souci de séparation des pouvoirs. Également, la puissance publique doit intervenir, sur ce point, afin d’assurer que cette nouvelle catégorie d’outils se développe et prenne en compte l’intérêt public et l’intérêt de l’individu, à l’inverse des Big Tech qui font fi des deux.

Pour parvenir à créer cette nouvelle infrastructure de données, l’effort doit être partagé par le secteur public et le secteur privé. A cet égard, aNewGovernance et l’Institut des Droits Fondamentaux Numériques, appellent à la création d’un organe de gouvernance européen et international pour que les mondes du public et du privé pilotent ensemble l’écosystème de gestion des données et les services qui émettent et consomment des données. Cette gouvernance mondiale permettrait, d’une part, de faciliter la circulation des données pour l’ensemble des acteurs de l’économie, et aurait, d’autre part, un effet de renversement de la relation asymétrique qui existe aujourd’hui entre une plateforme et un utilisateur.

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Pour une plateforme financièrement puissante et dont les services sont quasi universels, il est aisé d’imposer une architecture et un modèle de partage de données. A l’inverse, proposer une architecture et un modèle différents qui profitent à des dizaines de millions d’acteurs requiert une importante coordination. Un organe de gouvernance doit être la clef de voûte d’une infrastructure mondiale de circulation de données centrée sur l’individu. Le numérique étant devenu un sujet éminemment politique – et non plus uniquement technique ou économique – cette infrastructure de circulation de données pourrait constituer la première pierre d’un numérique plus juste. Et cela n’aboutira pas sans gouvernance.

ÉDITO

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